►
►
Agnes Obel revient avec Citizen of Glass, paru chez Pias, un grand disque métallique et cristallin sur l’exigence croissante de transparence de nos sociétés contemporaines et la nécessité du secret. Une oeuvre totale.
Trois années se sont écoulées depuis son dernier album Aventine, intimiste et exigeant, porté un travail passionnant sur le mariage de la voix et des cordes quand Philarmonics, l’opus de la révélation, nous ensorcelait de ses pianos délicatement envoûtants. Trois ans, pendant lesquels l’artiste danoise a visiblement poussé l’expérimentation sonore et la quête esthétique encore un peu plus avant, élargissant de nouveau son champs musical.
Agnes Obel fuit volontairement les recettes qui feraient d’elle assez aisément l’héroïne scandinave d’une pop où le feu et la glace sont associés dans le même lit de composition polaire. Obel choisit cette fois de mettre en scène sa voix, de l’assouplir au point de la rendre élastique, de la faire jouer jusque dans des tonalités dangereuses, jusqu’à la contraindre à se dédoubler dans une des plus belles chansons qu’il nous ait été donné d’écouter depuis longtemps.
Avec « Familiar «, le premier extrait publié en juin dernier, on retrouvait une Agnes Obel fidèle à son style raffiné dans une vidéo rétro-futuriste où la voix de la chanteuse se fait écho, comme dédoublée par une technologie tendance James Blake tout à fait nouvelle pour elle qui privilégiait plutôt l’acoustique jusqu’ici. En sondant ainsi les infinies possibilités du son et de la production, elle s’ouvre à de nouvelles perspectives.
Dans ce jeu de miroir où la transparence est traitée dans ses formes les plus extrêmes, Agnes Obel organise elle-même son propre duo avec sa voix qu’elle divise et fragmente en deux personnalités, comme si l’une venait du soleil et l’autre de la lune noire. Sa voix trafiquée ressemble de très près à celle d’Anohni et c’est tout à fait sublime.
iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii
Citizen of Glass est aussi un album enregistré avec des instruments qui imposent la rigueur, et poussent à faire vivre le silence dans chaque morceau. Il y a des clarinettes, des violons, une épinette, un mellotron, un célesta ainsi que du trautonium, un synthétiseur allemand des années 20 qui produit le son du verre grâce à ses lames métalliques. Sans oublier les samples qui transmutent le baroque à l’ère digitale.
« Oskar Sala avait utilisé cet instrument pour composer la bande-son des Oiseaux, mon film d’Hitchcock préféré. Je voulais que la beauté cristalline de la musique soit habitée d’une étrangeté en phase avec le climat inquiétant de l’époque. » Agnes Obel
Son goût pour les ambiances cinématographiques s’affirme d’emblée sur l’envoûtant « Strech your Eyes » où, quelque part entre douceur et angoisse (« darling ghost…« , implore-t-elle), elle jette un pont entre jazz aérien et folk progressif à la Kate Bush, le tout porté par un violoncelle fantomatique.
Cette odyssée au cœur de la transparence est inspiré d’un article lu dans la presse allemande qui décrivait le degré d’intimité qu’un individu possède dans un pays donné. Obel a extrapolé le sujet pour nous faire vivre l’incroyable difficulté de notre époque où tout semble aller dans le sens de la révélation de l’intime. Son travail autour des multiples facettes de la voix est total puisque pour la première fois, l’artiste danoise utilise la sienne pour dénoncer les travers du monde contemporain.
« L’idée de Citizen of Glass m’est venue pendant la tournée de l’album précédent, Aventine. C’était peu de temps après les révélations d’Edward Snowden sur les agissements de la NSA, et je lisais de nombreux articles sur la surveillance de masse, particulièrement dans la presse allemande. Ce pays paraît plus sensible que d’autres à ce problème, sans doute à cause de son histoire. Une expression allemande désigne d’ailleurs métaphoriquement ce phénomène : “Gläserner Mensch”, c’est-à-dire l’homme, le citoyen de verre. Ce terme exprime le degré d’intimité qu’un individu peut encore avoir face à l’État, à la police, au monde médical… S’il est fait de verre, c’est qu’il est transparent, que nous savons tout de lui. Je m’identifiais à cette sensation, un sentiment qui pourrait être partagé par beaucoup d’autres que moi. » Agnes Obel
Rarement la beauté et l’exigence d’une œuvre n’auront été aussi synchrones, avec l’un des sujets qui agite les dérives de la société du spectacle. Prodigieux.
L’Agnes Obel qu’on retrouve est une artiste complète, renouvelée, autre, contemporaine, donc fidèle à elle-même. Avec un avenir radieux pour Citizen Of Glass, qu’elle présentera en France en fin d’année et à Lyon le 20 novembre prochain, sur la scène de l’Auditorium Lumière à la Cité Internationale.