Voilà encore un film qui fait la part belle à un autre art. Après l’obsession théâtrale chez Resnais, voici l’intrusion de la littérature chez Ozon. À croire que le cinéma n’arrive pas à se considérer lui-même comme un art à part entière… Bref, après Potiche, voici Dans la Maison. Fabrice Luchini, professeur de français déçu par des générations d’élèves médiocres, découvre dans son cours un jeune talent. Le « futur Rimbaud » a tôt fait de rendre son professeur accroc à ses rédactions qui racontent la vie d’une famille normale où la femme de classe moyenne possède une odeur si singulière… C’est avec grand plaisir que le spectateur se laisse mener à la baguette par cet adolescent, par Ozon et son scénario si bien écrit.
Dans la Maison, est un film sur des gens normaux. Les élèves de ce lycée pilote sont revenus à l’uniforme ; père, mère et fils vivent dans une petite maison ; le professeur de français est un écrivain raté, les provinciaux ne comprennent rien à l’art contemporain. Et pourtant c’est dans cette univers d’une banalité oppressante qu’Ozon fait surgir l’extraordinaire. Chaque rédaction que rédige cet adolescent révèle le réel d’une façon différente : la parodie révèle des êtres grotesques, le réalisme révèle de tristes personnes et ainsi de suite. Ainsi, il y a un plaisir jouissif à redécouvrir par le cinéma la force de la littérature. Ce n’est pas sans humour qu’Ozon cite les auteurs : Celine sert à assommer, Musil est un homme sans qualité. Le spectateur prend un réel plaisir à voir interragir en montage alterné la vie dans la maison avec la famille normale, et la vie de Monsieur Germain. Seule la mise en scène cinématographique permet ainsi de se faire rencontrer deux espaces et deux temps, le réel et le fictionnel, l’écrit et la vraie vie, les mots et l’image.
Pourtant, il y a un certain malaise qui s’installe progressivement Dans la maison. Peut-être est-ce dû au voyeurisme de ces personnages qui s’immiscent dans la sphère intime : le lieu de vie, la famille, le couple. Ozon ne se prive pas de faire référence à Fenêtre sur Cour d’Hitchcock. L’auteur, est-ce celui qui décrit seulement, un Zola impuissant. Ou bien est-ce un démiurge qui est tout autant capable de détruire que de composer ses personnages ? On regarde pendant deux heures cet adolescent au regard parfois aussi fou que celui de We Need To Talk About Kevin de Lynne Ramsey. On sent le plaisir évident de cet enfant, de ce réalisateur qui construit un château très minutieusement pour mieux le casser, la jouissance de la destruction. D’ailleurs, le pauvre professeur de français en perd la tête. La littérature l’a rendu fou, le cinéma a brisé tout ce qu’il avait construit.
C. Lavigne